Depuis plusieurs semaines, les étudiants défilent contre les quotas qui réservent une partie des emplois publics aux descendants des combattants de l’indépendance. Mais cette semaine, au moins six personnes sont mortes et des centaines ont été blessées dans de violents affrontements entre les étudiants qui manifestent et des groupes fidèles au gouvernement. Ce mercredi 17 juillet, la Première ministre a promis que les responsables des « meurtres »seraient châtiés. Malgré les fermetures des établissements scolaires et des universités, les affrontements ont tourné aux émeutes.
Malgré la répression policière et la fermeture des universités, des émeutes se sont déroulées à nouveau, ce mercredi 17 juillet, dans au moins deux grands campus, notamment pour rendre hommage aux six premiers morts de la répression.
À 23 ans, cet étudiant qui souhaite rester anonyme devrait bientôt être diplômé de la prestigieuse université de Dacca. Il a participé au cortège. « Nous étions en train de prier pour eux, ensuite nous avons fait une marche funèbre avec des cercueils à travers l’université. Nous venions de débuter la marche quand la police nous a d’abord bloqué avant de lancer des grenades assourdissantes, du gaz lacrymogène. Et ils nous ont encerclé de partout et ont lancé des grenades et des bombes de manière continue. On a couru pour nos vies », raconte-t-il.
Son grand-père a combattu pour l’indépendance du Bangladesh acquise en 1971. S’il en faisait la demande, il pourrait être éligible aux quotas qui réservent 30 % des emplois publics aux descendants de combattants de la libération. « 50 ans après l’indépendance, leurs petits enfants ne doivent pas bénéficier de ces quotas. Nous pensons que ce n’est pas une chose juste. C’est extrêmement illogique et discriminatoire », avance-t-il.
Il se dit déterminé, mais craint que le mouvement ne cède face à la répression. « Sans un soutien plus massif de la population, les étudiants ne pourront pas tenir plus longtemps face à ces forces brutales », craint-il.
Gaz lacrymogènes et barres de fer
Sur les vidéos que des manifestants ont transmises à Nicolas Rocca du service international de RFI, on voit la police tirer du gaz lacrymogène sur des manifestants, des individus habillés en civil frapper violemment des hommes à terre avec des barres en métal. Le crâne en sang, ils les supplient d’arrêter. D’autres images montrent un manifestant debout face à la police se faisant tirer dessus.
Les autorités cherchent aussi à couper les communications selon cette manifestante qui souhaite rester anonyme. « La connexion est très mauvaise. Depuis ce matin, nous sommes incapables d’accéder à Facebook et aux autres réseaux sociaux. Les autorités ont ralenti la connexion internet. »
Plusieurs déclarations de la Première ministre ont mis le feu aux poudres. Les protestataires demandent l’abrogation des quotas réservant un tiers des emplois publics aux enfants des héros de l’indépendance. En 2018, le système avait été allégé avant d’être réinstauré par une décision de justice en juin.
Attaques punitives sur ordre du gouvernement, selon les manifestants
La cheffe du gouvernement, Sheikh Hasina, réélue pour un quatrième mandat en janvier dans des élections qualifiées de simulacre par l’opposition, refuse de céder aux demandes des manifestants. Elle a sous-entendu qu’ils étaient des collaborateurs et a envoyé la police lever les blocages. Ce qui a donné lieu à des affrontements violents et à la mort de six personnes ce mardi.
Les protestants accusent la branche étudiante du parti au pouvoir, la ligue Awami, de mener des attaques punitives sur ordre du gouvernement. Voici comment une étudiante jointe au téléphone décrit l’organisation.
« Ce ne sont pas tous des étudiants, certains le sont, mais ils ont aussi fait venir des personnes qui feraient n’importe quoi pour de l’argent. Ils les ont embauchés pour nous attaquer. Les gens de la ligue sont allés dans les dortoirs des hommes comme des femmes et ont torturé des étudiantes et des étudiants brutalement. »
Les militants pro-gouvernement, eux, dénoncent la violence des manifestants et des opposants politiques. Les autorités assurent avoir trouvé des armes au siège du principal parti d’opposition.
Promesse de justice, annonce la Première ministre
La première ministre a depuis pris la parole. Elle a promis que les responsables des « meurtres » seraient châtiés, quel que soit leur bord politique. Une manière de dire que les violences émanent des deux camps. Sheikh Hasina a promis la justice, mais ce n’est pas certain qu’elle soit entendue par les manifestants. Une des étudiantes contactées par RFI a réagi en disant : « Le gouvernement nous a profondément déçus. Ce sont eux qui ont tué nos frères. »
Pour Nordine Drici, directeur du cabinet d’expertise ND Consultance, ce sujet hautement controversé ne risque pas d’être réglé par la justice. « Au Bangladesh, on est sur une démocratie de façade, Sheikh Hasina vient d’être élue pour la quatrième fois pour un nouveau mandat après des élections dont le processus neutre indépendant est très contesté et très controversé. Elle a été réélue en janvier 2024. Elle a pu aussi être élue grâce aussi au boycott du parti d’opposition, le BNP, le parti nationaliste bangladais. Si on regarde les choses de l’extérieur, effectivement, elle a été réélue », explique-t-il.
Puis Nordine Drici ajoute : « Il y a un Parlement qui ne joue absolument pas son rôle d’organe de contrôle du pouvoir. Et dans ce cadre-là, la justice est clairement instrumentalisée par le pouvoir en place. La justice, aujourd’hui, elle est aux mains de Sheikh Hasina. Donc que Sheikh Hasina dise qu’elle s’en remet à la justice, c’est juste un artifice puisque de toute façon la justice va aller du côté du pouvoir. À un moment très récent de l’histoire du Bangladesh, le président de la Cour suprême a dû être démis de ses fonctions, il a dû partir, en gros, il a été forcé de partir parce qu’il y a eu une controverse entre le pouvoir en place et la magistrature sur le degré d’indépendance qui était donné aux magistrats. »
Sheikh Hasina est obligée d’installer un système de terreur via des lois liberticides. La loi sur la sécurité digitale, il y a quelques années, la loi sur la sécurité numérique également. Donc elle quadrille tous les espaces possibles d’opposition, de contestation, avec l’idée, et ça, c’est très important dans la politique du Bangladesh, de rester dans l’héritage de son père.
Le Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations unies a réagi en demandant aux autorités de dialoguer avec les manifestants, et d’enquêter sur les violences.